Wednesday 30 January 2013

Un bon article qui démontre que le féminisme a encore toutes ses raisons d'être

J'entends souvent de jeunes femmes dire autour de moi (je vis dans la province de Québec au Canada), que le féminisme a peut-être été bien utile mais qu'il est désormais dépassé et n'a plus sa raison d'être.

Pauvres naïves.

Non seulement ces jeunes femmes dénigrent ainsi les efforts exceptionnels des féministes d'hier et d'aujourd'hui, mais elles font preuve d'un manque d'intérêt et de solidarité envers la majorité des femmes de la planète. Ces femmes elles ne réalisent pas la chance inouïe qu'elles ont de pouvoir s'exprimer, s'habiller, étudier s'épanouir comme elles l'entendent. Tout ceci, grâce aux efforts des féministes pour que les femmes puissent jouir des mêmes privilèges que les hommes.  Notre liberté reste encore fragile, comme l'explique si bien cet article de Josée Boileau au sujet du viol affreux d'une jeune femme de Delhi en décembre 2012.  Je le retranscris ici dans sa totalité :

Viol en Inde - Si près de nous

Josée Boileau
Le Devoir
7 janvier 2013

Elle a beau avoir eu lieu à l’autre bout du monde, la sauvage agression de décembre qui a entraîné la mort d’une jeune Indienne de 23 ans a bouleversé bien des gens, jusqu’au-delà des frontières. Pour les femmes, elle est un cruel rappel de la fragilité des acquis.

Le drame de cette jeune fille, battue et violée dans un autobus de Delhi aux côtés de son ami, lui aussi frappé à coups de barres de fer, a suscité en Inde une mobilisation sans précédent. Un réveil qu’on espère déterminant dans une société où l’accès à la modernité, qui implique l’égalité hommes-femmes, se bute à une tradition où la misogynie fait loi.

Des aspects de cette sordide histoire sont spécifiques à l’Inde, comme l’expliquait samedi notre correspondant Guy Taillefer. L’imbrication des inégalités au quotidien, l’indifférence de la classe politique aux maux sociaux, la dénonciation de modes de vie occidentaux sont autant d’éléments dont il faut tenir compte.

Néanmoins, la toile de fond de cette sordide affaire dépasse l’Inde, dépasse le viol, dépasse les chocs de civilisation. Ce qui est en jeu, ce qui touche tant, c’est la présence même des femmes dans l’espace public.

Nulle part au monde on ne trouvera un homme pour s’interroger sur son droit intrinsèque de sortir de sa maison, seul, pour marcher dans la rue, prendre les transports en commun, aller travailler, se divertir, manifester, même !, ou simplement flâner au grand air. Ce que l’on appelle vivre en société.

Pour la quasi-totalité des femmes de la planète, rien de tout cela ne va de soi. Même pour celles qui ne sont pas confinées à la maison, vivre dans l’espace public reste un dangereux pari. On voit à Mexico des autobus réservés aux femmes aux heures de pointe pour diminuer les agressions sexuelles. Dans plusieurs métropoles, même d’Europe, des taxis sont mis au service exclusif des femmes pour les protéger. Le printemps arabe nous a démontré les défis d’être une manifestante avec un grand E. Les milieux de travail sont des nids de harcèlement. Et presque partout, les places publiques sont des fiefs de rassemblement masculins. Quant aux bars…

La violence contre les femmes est une réalité si routinière en Inde qu’on n’en parle pas, écrivait encore notre collègue samedi. Cela, hélas, est vrai dans une foule de pays. Mais heureusement plus ici, où les agressions sont socialement perçues comme inacceptables. Une avancée gigantesque, mais que de batailles les féministes ont dû mener pour y arriver…


La violence ne dit toutefois pas tout de l’espace public. Au Québec, au Canada, subsiste tout un écart entre l’accès des hommes et des femmes au marché du travail, à la création, à des mandats électifs, aux responsabilités, aux prix, à la reconnaissance… Une affaire d’histoire, d’éducation, d’absence de modèles, de mentors, de réseaux, a-t-on expliqué depuis des années. Or que voit-on se repointer le nez, même de la bouche d’intellectuels ? La thèse essentialiste : au fond, les femmes, par leur nature, préfèrent la sphère privée à la vie publique. Plus confortable que de décortiquer le patriarcat !

À quoi il faut ajouter l’effacement suprême, que vient d’avaliser la plus haute cour du pays : celui du port du niqab devant les tribunaux. Notre Cour suprême qui rend acceptable, on croit rêver ! un marqueur de non-existence publique des femmes.

Pendant ce temps, d’autres meurent d’avoir été au cinéma, libre et tête nue, en bus, avec un amoureux… Non, l’Inde n’est pas si loin de nous.

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